Dans le cadre de cette réflexion, l’écrivain et stratège Tim Leberecht revient sur sa rencontre avec le coach et auteur à succès Michael Bungay Stanier. Tous deux s’interrogent sur le rôle des frictions, des risques et des tensions créatives dans le processus de création d’idées nouvelles. Penchez-vous sur leurs idées et insufflez à votre vie un soupçon de créativité.
In Search of Inspiration
A Pullman Draft is an idea. A provocation. A spark for conversation and an invitation to think differently. Welcome to Pullman Drafts, a series of personal reflections with the House of Beautiful Business, featuring bold voices from business, culture, media, and technology.
2 octobre 2025
moins d'une minute
Il y a des journées qui s’étirent, et d’autres qui vous semblent tout bonnement interminables. Je parle de ces journées qui vous drainent de toute énergie et vous donnent l’impression que votre cerveau n’est plus qu’un bagage à main surchargé, bringuebalé à bord d’un vol agité en classe économique au-dessus du Pacifique. C’était dans cet état que je me suis retrouvé après treize heures de conférences TED, à Vancouver, en 2019.
Je m’y étais rendu pour trouver de nouvelles voix et perspectives non conventionnelles. À cette époque, je venais tout juste de lancer mon organisation, House of Beautiful Business, et je devais trouver des conférenciers pour notre prochain festival sur l’économie centrée sur la vie, une approche des affaires mettant l’accent sur la durabilité, l’inclusivité et la créativité. Cette conférence TED me semblait très prometteuse, la destination idéale pour rencontrer et saluer les esprits non conformistes et les grands penseurs de demain. Mais quand la conférence fut terminée, je n’étais plus en état de tenir une conversation intelligible avec qui que ce soit. Ce n’était pas la faute des intervenants, chacun d’eux s’était illustré avec brio. J’étais juste épuisé par une journée passée à ingérer des quantités astronomiques d’informations dans une salle dépourvue de lumière naturelle.
C’est dans cet état que je me suis dirigé vers le hall d’entrée, et me suis retrouvé aux côtés d’un inconnu qui semblait aussi exténué que moi. Cette personne se distinguait de la foule par sa taille de basketteur, sa chemise hawaïenne et ses grosses lunettes. Je décidai de sortir un peu, pour prendre l’air, et une fois dehors, je trouvai une fois encore cette personne près de moi. Le hasard fit que nous nous asseyions sur les extrémités du même banc, face aux spectaculaires montagnes North Shore de la ville. Aucun de nous deux ne parla pendant un bon moment. Quand nous nous décidions enfin à parler, ce n’était pas pour nous présenter, ni parler de nos professions respectives. Notre conversation avait pour objet la lumière, le ciel, les ombres qui s’évanouissaient à l’arrivée du crépuscule. Nous avons ressenti un profond calme en nous-mêmes et une affinité avec notre environnement. À cet instant je remarquai que je me sentais plus inspiré que je ne l’avais été de toute la journée.
Michael Bungay Stanier et moi sommes rapidement devenus amis. Michael était déjà un illustre coach exécutif dont le livre à succès, The Coaching Habit, avait fait découvrir sa méthode de leadership fondée sur la curiosité à des lecteurs du monde entier. Nous fûmes amusés de l’ironie de la situation : une journée programmée et spécifiquement axée sur « l’inspiration » avait été supplantée par un peu d’air frais et une vue sur les montagnes. Pour moi, cette expérience fut révélatrice. Michael quant à lui fut moins surpris. Il était déjà familier avec les caprices de l’inspiration.
L’histoire du whisky noir
Au milieu des années 1990, bien avant que les conférences TED ne soient populaires, Michael faisait partie d’une équipe de consultants qui trouvait des moyens innovants de lancer de nouveaux produits et services sur le marché. Ils furent engagés par une entreprise écossaise de whisky, un client, pourrait-on dire, qui vendait le bon produit au mauvais moment. Les années 90 ont été marquées par la popularité des limonades alcoolisées et des cocktails à base de vodka. Le scotch et les distilleries gaéliques aux consonnes multiples, dont il était issu, n’étaient pas véritablement tendance. Pour que ce produit se vende, il fallait qu’il se défasse de son image de boisson réservée aux grands-pères aux cheveux grisonnants, et qu’il devienne attrayant pour les consommateurs modernes.
Michael savait qu’ils avaient besoin d’une idée brillante. Il s’agissait du « black whiskey », le premier scotch au monde à arborer une couleur charbon. L’espoir était que sa couleur inhabituelle et ses ingrédients mystérieux créeraient une toute nouvelle génération d’amateurs de scotch. Le client fut enchanté par la confiance et l’originalité du concept, et en 1996, Loch Dhu (« lac noir » en gaélique) fit son apparition dans les rayons.
Si vous êtes amateur de whisky, vous connaissez sans doute déjà la suite de l’histoire. Si ce n’est pas le cas, et bien disons simplement que le produit n’a pas marché. Moquée par les clients et critiquée par les connaisseurs, la production fut rapidement interrompue et les bouteilles disparurent rapidement de la circulation. S’agissait-il là d’une mauvaise inspiration ? Michael en tout cas n’était pas de cet avis. Pour lui, cette expérience a mis en lumière une vérité profonde sur la nature de l’inspiration. S’ouvrir à l’inspiration implique de s’exposer à faire fausse route.
Faire taire sa critique intérieure
Vous pensez que l’inspiration est une chose sur laquelle vous n’avez aucun contrôle ? La science vous donne raison. L’imagerie médicale a montré que le potentiel d’inspiration est latent dans notre cerveau, mais que celui-ci doit être stimulé. Cela peut être fait par n’importe quoi : une belle mélodie, un paysage mirifique, un dialogue saisissant dans votre série Netflix préférée, la manière dont la lumière se reflète sur le balcon de votre cuisine. Il est impossible de prévoir ni le moment ni la raison. Tout ce que nous pouvons faire, c’est demeurer ouvert à cette impulsion et l’accueillir sans jugement quand elle se présente.
Il existe cependant des moyens d’augmenter les chances d’une telle visite. Michael est un grand amateur de marche. La pratique de cette activité dans la nature lui procure un sentiment de plénitude, un zen lui permettant d’oublier sa journée. Quant à moi, je préfère les films et les galeries d’art quand je ressens le besoin de me ressourcer psychologiquement. Je ne pense pas avoir ne serait-ce qu’une seule fois quitté une galerie sans ressentir en moi un sentiment de légèreté, l’ébauche d’une idée nouvelle. Ma compagne est une grande lectrice. La lecture d’une phrase magnifiquement construite exprimant un sentiment qu’elle connait, mais qu’elle n’a jamais vu articulé, peut faire naître en elle une réaction en chaîne de créativité.
Votre mode d’inspiration peut être très différent. Certaines personnes sont plus créatives lorsque leur esprit est actif et engagé, d’autres préfèreront être soumis à une forme de divertissement pour stimuler l’imagination. Les « révélations sous la douche » en sont l’exemple classique : qui n’a jamais été frappé par une idée inattendue pendant qu’il se lavait les cheveux ? D’autres ont besoin de contraste pour stimuler leur imagination. Être exposé à un nouvel environnement ou vivre une nouvelle expérience peut vous faire sortir de votre routine, provoquant un choc créatif entre l’habitude et la nouveauté, et vous offrant un regard nouveau sur ce qui vous semblait familier. Ces chocs créatifs sont souvent au cœur de l’inspiration. Quand nous cessons de compartimenter nos vies et commençons à abattre les murs conceptuels entre le travail, les loisirs, les voyages, la famille, la communauté, la culture et bien d’autres choses encore, nous nous ouvrons à de nouveaux espaces. Ces derniers permettent à différentes parties de nous-mêmes de rentrer en contact, et de potentiellement déclencher une mystérieuse alchimie de pensées, de sentiments et d’idées. Cette alchimie est un puissant terreau à l’inspiration.
Selon Michael, il n’y a qu’une seule règle stricte lorsqu’il s’agit de s’ouvrir à l’inspiration : Faire taire sa critique intérieure. Rien n’est plus néfaste pour la créativité qu’un jugement trop hâtif. Michael voit l’inspiration comme un genre de dialogue codé entre notre esprit conscient et inconscient. « Je vois un portail s’ouvrir et le début d’une conversation féconde » me dit-il. « La pire chose que vous puissiez faire, c’est de l’interrompre. L’inspiration ne résout pas les problèmes. Vous ne pouvez pas commencer à évaluer la viabilité, ou jouer l’avocat du diable. Vous devez maintenir ce canal ouvert. L’inspiration relève presque du sacré, ce qui exige de nous patience et respect », explique-t-il.
Et puis, la vie nous réserve son lot de surprises, comme Michael aime à me rappeler. Son histoire de whisky noir ne s’arrête pas là. La boisson ayant retirée des rayons peu de temps après sa sortie, elle a acquis un statut presque mystique. Des rumeurs ont circulé parmi les amateurs de spiritueux du monde entier. Ceux qui avaient goûté au scotch partageaient des histoires horribles, et ceux qui ne l’avaient pas goûté écoutaient avec envie et désarroi. La raréfaction des stocks a conféré à ces bouteilles un cachet d’initiés. Avec le temps, elles devinrent des objets de collection, achetées et vendues à des prix bien supérieurs à leur valeur d’origine. De nos jours, le whisky noir fait l’objet d’un véritable culte.
Que pouvons-nous retenir de cette réflexion ?
En d’autres termes, l’inspiration est fugace, mais l’histoire est longue. En ayant cela à l’esprit, j’essaie ces derniers temps d’inviter davantage la créativité dans ma vie. Tout est une question d’équilibre : on ne peut pas forcer une révélation ni forcer son imagination à agir. Nos esprits sont des rebelles indomptables. Au lieu de cela, je m’expose à de nouvelles impulsions, de nouveaux stimuli, et adopte quelques techniques pouvant m’aider à grandir et à changer de manière holistique. Ces techniques sont les suivantes :
À propos de l’auteur
Michael Bungay Stanier est auteur primé, enseignant et conférencier. Il est surtout connu pour son ouvrage publié en 2016, The Coaching Habit, qui a permis à des millions de lecteurs de découvrir sa méthode de leadership basée sur la curiosité. Il est le fondateur et l’ancien PDG de Box of Crayons, une entreprise réputée dans le domaine de la formation et du développement, et s’est exprimé dans le cadre de conférences prestigieuses à travers le monde.
Tim Leberecht est cofondateur et co-PDG de House of Beautiful Business, le réseau dédié à l’économie centrée sur la vie. Il est l’auteur des livres The Business Romantic (2015), The End of Winning (2020) et du prochain Picky: How the Superpower of Curation Can Save the World (2026). Ses deux conférences TED ont été visionnées des millions de fois.